SOUS LES SUNLIGHTS, A JUSTE TITRE MAIS POUR LES MAUVAISES RAISONS

Dédicace amicale, 2 ans avant le macaron, 4 ans avant la télé
Dédicace amicale, 2 ans avant le macaron, 4 ans avant la télé

 

 

 

 

 

Je vous dois un préambule,

une espèce de "mise en place" ...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il y a deux ou trois ans, l'hôtel-restaurant, tenu par un Belge (!), Les Jardins du Cèdre à Port-Vendres, a reçu la visite inopinée d'une équipe de FR3 et la saison a été boostée de manière très sensible. Pourtant, le chef y officiait depuis quelque temps déjà, Michelin lui avait décerné deux fourchettes, il était "table d'excellence" aux Logis de France ... Les amateurs de la région savaient qu'on y mangeait très bien, que le poisson provenait en droite ligne du petit-métier local (on connaît même le nom du bateau) et que la carte des vins - surtout locale - était une des plus complètes du département, et équilibrée. Mais un passage court à la télévision a attiré une foule de curieux immense, qui sans cela n'auraient même pas su que cette jolie adresse existe.

 

"Capital" est venu filmer Pierre-Louis Marin récemment pour la "bonne" raison qu'il serait "l'étoilé le moins cher de France". Je n'ai pas vu l'émission - excusez-moi, je n'ai pas la télévision - mais le sujet de mon billet n'est pas son contenu. Et depuis lors, la fréquentation est telle qu'on refuse en permanence du monde, entend-on dire. 

 

La situation est totalement différente de celle vécue à Port-Vendres. Je ne vais pas encenser PLM - c'est comme cela que les branchouillards l'appellent - mais il fait partie lui, à 100 %, des stars locales, et depuis longtemps. Il y avait jadis cinq "meilleurs restaurants du département ", si cela veut dire quelque chose, et deux nous ont quittés pour aller chercher la survie financière ailleurs. Il n'en reste donc que trois, de ces "tout meilleurs" (à mon goût personnel). Tout le monde s'accorde avec moi à l'inclure parmi eux. Il a ouvert en 1999, je crois. Je n'étais pas encore installé ici mais je fréquentais déjà le département. C'est son épouse qui accueillait son petit monde, toute jeunette et timide de prime abord, paraissant parfois empruntée derrière son sourire tellement elle avait peur de mal faire.

Et on y mangeait déjà ... comme maintenant.

 

Deux ou trois ans plus tard, pour remercier un vigneron ami - habitant le village voisin - qui m'avait hébergé pendant mes recherches de vigne à acheter, nous étions venus manger ici. Le service était devenu huilé, convivial et la patronne avait pris ses marques ... et ensuite fait des bébés aussi. A cette époque en outre, la France possèdait ce don, quand l'école hôtelière est bonne, de fournir du personnel qui sait à la fois "faire copain" avec le client et garder des distances normales. Je ne suis pas sûr, presque 20 ans plus tard, que ce soit encore vrai. 

Mais l'assiette était ... identique.

 

Depuis 10 ans, nous nous asseyons régulièrement - on va estimer la fréquence à deux fois par an mais c'est un peu plus ces derniers temps - à Montner et ... on y mange toujours aussi bien, identiquement. En 2014, la première étoile Michelin est venue couronner la constance du chef, et la prestation de sa petite équipe. Pendant trois mois, on a vu des plaques minéralogiques plus exotiques se garer dans la petite rue au sommet du raidillon, et en plus grand nombre aussi. Ensuite, c'est redevenu comme avant.

Et l'assiette n'a toujours pas changé.

 

Le plus étonnant c'est l'évolution des prix. M. Marin travaille le produit frais, et de qualité. La vaisselle est fine et renouvelée très souvent. Son personnel, pas pléthorique, est à sa place et ses seconds successifs ont tous appris à faire aussi bien que lui quand il s'absentait pour un ou deux services. Il y a quinze ans, on payait entre 400 et 700 francs (tout compris) pour un bon repas. Ce n'était pas bon marché, mais quand même sans commune mesure avec le prix d'un repas "chic" dans une grande ville d'Europe, sans parler de Londres, Paris ou Bruxelles où les gens sont fous! A présent, regardez les menus du site, ajoutez un apéro et du vin en quantité raisonnable, et vous arrivez à ... 100 euros environ. La même chose! 

 

Asseyez-vous à Narbonne chez Lionel Giraud, à la Pomarède chez Gérald Garcia, à Cucuron cher Eric Sapet, à Charmes-sur-Rhône chez Olivier Samin ... on parle de montants similaires et de plaisirs similaires. Je peux vous citer quinze autres exemples.

 

Bien manger est un luxe. Des gens simples comme Christine et moi économisent en se privant d'autres dépenses pour cela. Des gens plus aisés mettent volontiers ce genre de budget pour assouvir régulièrement leur gourmandise. Bien sûr, c'est criticable. Mais tout est criticable: 40 euros pour aller écouter un humoriste faire son one-man show, sans orchestre, sans frais de transport du matériel, sans risque aucun; 100 euros pour un personnage aussi douteux que Johnny Halliday, ou aussi dépourvu de talent que Christine & the Queens ... et je ne parle même pas de Luce. Je n'ai pas le droit de la critiquer, elle est catalane. Combien coûte une paire de chaussures de sport de grande marque fabriquées par des enfants , l'une en Asie du Sud-est, l'autre en Amérique Latine, mais toujours en appliquant les résines sans masque ni ventilation? 

 

Une fois cela posé, beaucoup - presque tous en fait - des établissements où évolue un bon chef, proposent un menu du midi pour un prix très inférieur au tarif "normal", généralement entre 20 et 30 euros.

 

Cela ne représente pas du tout le coût réel du repas, et ils ne vous offrent pas non plus des produits de "seconde zone". Non, c'est aussi frais, aussi bien préparé, aussi soigné que le reste. Bien sûr, on vous servira un excellent maquereau plutôt que du skrei, ou un poulet fermier du coin plutôt que du chapon de chez Jean-Claude Mérial, et il n'y aura pas de truffe. 

 

Mais c'est surtout une manière d'attirer une clientèle qui ne viendrait pas. Elle prend la mesure de ce que c'est que "bien manger". Bien manger, ce n'est pas bouffer de la langouste juste décongelée jusqu'à plus faim, au bord d'une piscine chlorée d'hôtel ou bien pas loin d'une piscine publique (tout autant chlorée) à proximité du zoning commercial d'une grande ville. Ce n'est pas non plus empiler quinze hors d'oeuvre sur une assiette "king size". 

 

C'est aussi pour eux une manière de remplir les quelques tables qui restent vides, alors que le personnel est là pour les servir, en salle comme en cuisine. Ou même de remplir la salle tout court les jours de très faible affluence, ce qui hélas se produit quelquefois.

 

Il m'arrive, très rarement, à moi aussi de manger la "formule" d'un très bon restaurant. Je prends toujours un apéritif, et du bon vin, et un café et - beaucoup - d'eau. Au total, je n'ai pas honte de moi au moment de payer la note. Celle-ci dépasse de loin l'aumône de la "formule".

 

Donc, cette fameuse formule, qu'elle soit à 19 euros ou à 26 euros, ce n'est pas "un menu pas cher dans un excellent restaurant", c'est un cadeau que le restaurateur nous fait en espérant qu'on jouera le jeu: commander quelques extras d'une part, et revenir faire bombance pour de vrai une autre fois. C'est donc aussi une promotion, un investissement publicitaire, pour se faire (encore mieux) connaître.

 

Je suis très heureux qu'une émission grand public ait mis à l'honneur notre voisin de Montner. Je pense malheureusement que le titre "d'étoilé le moins cher" ne rend pas hommage à ce qu'il fait.  Je vous demande une faveur: essayez cette table - et les autres du même niveau - à l'occasion de ces "bonnes affaires", mais revenez-y de temps à autre pour jouer le jeu. Commandez un menu simple si vous voulez, ou bien plat-dessert à la carte, faites-vous servir du vin au verre, et vous participerez alors à une vraie fête. Il n'est pas nécessaire de se goinfrer de caviar, de boire du champagne millésimé, d'enfiler 12 Tabouriech ou Gillardeau et d'exiger un sabayon au porto 1934 pour se régaler, avant un armagnac du 19ème siècle. Et le Lanceros de Cohiba peut attendre des jours meilleurs.

 

Et surtout, surtout, ne sortez pas votre portable pour un selfie avec votre assiette de suprême de pintade en barigoule, assorti d'un commentaire du genre: "Pfff, un étoilé et il nous a servi du bête poulet avec de l'artichaut comme légume".

 

Et si moi je vous proposais un sujet d'émission: 

"le rugby à quinze, le sport professionnel de haut niveau où l'abonnement coûte le moins cher";  

peut-être que cela remplirait Aimé Giral? 

 

 

PS: la photo représente Piere-Louis Marin en train de dédicacer son livre "Mélano, mon amour" lors de la fête de la truffe de

      Montner, le 15 janvier 2012. Christine en profite pour se faire offrir un échantillon de glace vanille à la truffe, en dégustation

      ce jour-là. Il se sert de cet appareil pour confectionner un dessert comprenant aussi un macaron géant et des framboises,

      très régulièrement à la carte en saison et que je vous recommande vivement. 

 

 

 

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