254, CETTE ANNEE ENCORE

Les tournesols et toutes leurs levures indigènes
Les tournesols et toutes leurs levures indigènes

 

 

En politique, on a souvent entendu dire

qu'un pays possédait

"telle faction la plus con du monde".

Au choix , c'est la gauche, la droite,

ceux-ci ou ceux-là.

 

 

 

 

Je pense que le monde vigneron se conduit parfois comme "la corporation la plus conne du monde". Et je participe de ce mouvement, nilly willy.

 

En fait, il n'y que deux types de production viticole: l'industrielle (ou semi-industrielle) et l'artisanale. Et pourtant, nous nous ingénions, et les gloseurs surenchérissent, à créer des catégories, concurrentes ou rivales sinon franchement ennemies: les bios et les autres, les steinériens, les nature, le vin orange ... Quelquefois, la législation vient entériner ces divisions. Parfois, ce ne sont que des associations de potentats, auto-proclamées.

 

Un débat récurrent est celui du levurage. Et ici, il me faut poser un préambule: la plupart des gens qui parlent du sujet n'ont jamais fait de vin, ou bien en élaborent mais n'ont aucun bagage "scientifique" pour en juger sereinement. Et là, je ne parle pas uniquement des connaissances en biologie ou en sciences fondamentales, mais aussi de la formation statistique et dialectique pour juger du bien-fondé d'une publication. Ceci sous-entend: moi bien. Exact.

 

Après, chacun fait ce qu'il veut et c'est pour cela que les contre-vérités pleuvent.

 

Qu'un sommelier s'exprime sur le "goût du vin", ma foi c'est certainement son domaine. Qu'il lie celui-ci à des méthodes culturales ou de vinification, c'est déjà moins probant. Qu'il élabore en plus des théories magistrales et donne des cours à ce sujet, cela me fait sourire. Vous pouvez remplacer "sommelier" par journaliste, ou bien professeur d'école hôtelière, ou animateur d'un club oenophile, ou chroniqueur ou ce qu'il vous plaira d'autre. A l'inverse, les gens les mieux à même de juger en toute connaissance de cause sont certainement les oenologues ou les ingénieurs agronomes. Mais ceux-ci souffrent d'une présomption de culpabilité naturelle: ils auraient tendance à vouloir défendre tout ce qui est "interventionnel" dans la vinification, car c'est l'essence même de leur profession et de leur gagne-pain. 

 

Pour une fois, et cela vous surprendra, je n'ai pas un avis définitif sur la question. A la Coume Majou, nous utilisons une levure sélectionnée pour tous nos vins rouges, et une autre pour le rosé et le blanc.

 

Je consacrerai un autre billet aux levures, mais j'insiste sur le fait que celles que l'on nous vend ont été sélectionnés au départ de levures présentes dans la nature, purifiées et reproduites. Il ne s'agit pas de levures de synthèse, ni de substances modifiées génétiquement. C'est ainsi qu'on a procédé au départ pour l'alicante Bouschet ou pour l'épagneul breton et le pruneau d'Ente.

 

Par contre, je vais vous expliquer pourquoi j'ai décidé de levurer, chez moi.

 

Il y a tout d'abord des raisons historiques, la mémoire des lieux. C'est très différent de celle de l'eau postulée par le fumiste Benveniste (un confrère) dans la revue Nature, pourtant régulièrement "sérieuse". Mais ceci est un autre débat, qu'on peut entamer en d'autres circonstances. Pour l'heure, il ne s'agit que d'une petite provoc' de ma part. On dit un "teasing" à présent.

 

Avant mon arrivée à Corneilla, il n'y existait qu'une structure coopérative - qui élaborait un Rivesaltes ambré "hors d'âge" de qualité remarquable - une petite cave particulière dédiée à du vrac et un chai de stockage appartenant à une association de viticulteurs autour de Robert Pouderoux. Mais il vinifiait (principalement?) à Maury. La cave que j'ai reprise avait appartenu au papa de Pierre Fontaneil, qui y élaborait environ 1.000 hl de VDN, vendu en vrac. Le vieux cuvier en béton, assez délabré, n'avait plus servi depuis une demi-douzaine d'années. Je ne souhaitais donc pas voir mon matériel, tout neuf, être colonisé par je ne sais quels types de micro-organismes non désirés. Ceci a justifié le levurage, au début.

 

Il y a ensuite une raison d'autorité. J'ai choisi de me faire conseiller par Laurent Duret, ingénieur agronome et oenologue travaillant pour le compte de l'ICV. Et je m'en félicite. Si mes vins sont au niveau - que je trouve correct et très gratifiant - où ils sont, c'est en grande partie grâce à ses conseils et à sa guidance. Il ne fait pas le vin, il me permet de commettre le moins de bêtises possible par sa surveillance. Et lui m'a conseillé pour le rouge une levure très neutre aromatiquement mais qui "envahit" très bien les cuves, dominant la concurrence et repoussant les germes d'altération, tout en étant capable de bien digérer le sucre , même après l'obtention de degrés alcooliques costauds. Pour le blanc, où la question de "finir les sucres" se pose avec moins d'acuité car je rentre des moûts de densité plus raisonnable, il s'agit surtout de ne pas marquer le vin par des arômes amylés ou thiolés que je n'apprécie pas, et encore moins dans le cas du rosé. Ceci a guidé sa recommandation. Bien sûr, c'est son entreprise qui me vend la camelote. Mais en volume (et en valeur), ceci ne représente pas grand chose.

 

Enfin, il y avait aussi mon souhait d'obtenir des rouges certes mûrs et fruités, mais surtout sans sucre résiduel. Cela ne me convient nullement, à titre personnel, quand quelques grammes de glucose "traînent". Bien sûr, ils sont flatteurs en apparence mais à table ... pfff, écoeurants.

 

Voilà, il me semble que ma cave est colonisée à présent et je pourrais sans doute me passer de levurage.

 

On y pensera un jour.

 


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Comments: 2
  • #1

    Maya (Sunday, 13 September 2015 21:00)

    Votre article m'a interpelé, ingénieur agronome et oenologue je vous propose de lire mon avis sur la question des levures indigènes et sélectionnées. Il est sans doute différent de celui qu'on attend. Je vous propose de le lire ici (http://serpentaplumes.weebly.com/blog/couvrez-ce-levain-que-je-ne-saurais-boire). Bonne journée et bonnes vendanges!

  • #2

    Luc Charlier (Tuesday, 15 September 2015 08:18)

    Je vous remercie de votre intérêt ... qui est aussi professionnel, dans votre cas. Il faut lire ceci également, l'autre face de ma médaille: http://leblogdeluc.jimdo.com/2015/09/02/et-si-on-ne-levurait-pas/.